Plusieurs donneurs d’ouvrage, dans le milieu tant privé que public, s’assujettissent à un arbitrage conventionnel en cas de litige au moyen d’une clause à cet effet dans le document d’appel d’offres. À l’ère où les modes privés de règlement gagnent en popularité, cela peut sembler être une belle initiative. Cependant, dans le cas des corps publics, c’est plutôt un « pensez-y bien »! Nous vous présentons ici les éléments essentiels à prendre en considération avant de vous assujettir à un tel arbitrage obligatoire.

Un arbitrage est un mode privé de résolution de différends prévu par le Code civil du Québec[1] qui consiste à l’engagement, par contrat des parties, à confier à un arbitre la décision dans tout futur conflit, et ce, à l’exclusion des tribunaux. En effet, il existe des modes privés de règlements des différends qui sont complémentaires aux tribunaux, comme c’est le cas pour une négociation directement entre les parties, la médiation avec un médiateur ou encore la nomination d’un arbitre pour réaliser un arbitrage. Du côté de l’arbitrage, il s’agit d’une procédure qui remplace entièrement le recours devant un tribunal, où un juge aurait été nommé pour trancher votre litige contractuel.

Concrètement, lors de la survenance d’un conflit, les parties s’entendent sur le choix d’un arbitre qu’elles nomment pour intervenir dans leur dossier. Il s’agit habituellement d’un avocat, mais on peut retrouver d’autres professionnels du monde juridique tels les notaires, les professeurs de droit, les anciens magistrats, etc. L’arbitre nommé entend alors les parties et leurs arguments, comme au cours d’un procès, et il rend une sentence arbitrale.

Le principal avantage de l’arbitrage conventionnel, et la raison pour laquelle ce mode de règlement des différends est populaire dans le domaine privé, est qu’il est strictement confidentiel. En effet, contrairement aux jugements des tribunaux civils, la sentence arbitrale n’est pas publique; elle demeure généralement confidentielle entre les parties. Ainsi, les entreprises sont nombreuses à vouloir faire usage de ce type de mécanisme dans le but d’assurer la confidentialité de leurs méthodes, budgets, secrets industriels ou autre élément de nature à porter potentiellement atteinte à leur réputation ou leur compétitivité.

Or, dans le cas des corps publics telles les municipalités, les contrats, les résolutions et la majorité des documents pertinents à un litige font partie des archives municipales et sont donc publics, notamment en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[2]. Ainsi, il n’y aura pas de caractère confidentiel pour les documents ci-avant mentionnés. En ce qui concerne spécifiquement la sentence arbitrale, elle constitue un document détenu par la municipalité et est donc assujettie à cette même loi. Ainsi, sous réserve des exceptions prévues à cette dernière, elle pourra être rendue publique.

Une autre caractéristique à prendre en considération est que l’arbitrage permet parfois d’arriver à une décision plus rapidement qu’avec les tribunaux, considérant les importants délais judiciaires. Toutefois, il n’y a aucune garantie en ce sens.

De plus, l’arbitrage occasionne des coûts substantiels pour les parties. En effet, lorsque l’on s’adresse à un tribunal, les parties doivent payer les honoraires extrajudiciaires de leur avocat et quelques frais judiciaires, mais le travail du juge et du personnel de la cour n’est pas chargé aux parties. Dans le cas de l’arbitrage, les honoraires extrajudiciaires des avocats demeurent, mais à cela il faut ajouter les honoraires de l’arbitre que les parties devront se partager, lesquels peuvent être significatifs et difficilement contestés.

Enfin, contrairement aux jugements des tribunaux de droit commun, il n’est pas possible de faire appel d’une sentence arbitrale. En effet, la nullité d’une sentence arbitrale ne peut être demandée que dans certains cas très limités[3], notamment lorsque l’arbitre aura agi à l’extérieur de ses compétences ou aura rendu une décision dont le résultat est contraire à l’ordre public[4]. Ces cas sont très rares et les tribunaux, peu enclins à intervenir à moins d’une problématique flagrante.

En conclusion, pour des corps publics comme les villes et les municipalités, le recours à l’arbitrage conventionnel n’apporte que très peu d’avantages. Au contraire, ce mode de règlement des différends limite les recours de la municipalité, augmente ses dépenses et n’offre pas les garanties de confidentialité qui paraissent si avantageuses pour un contractant privé.

Ainsi, l’inclusion de telles clauses dans les documents d’appel d’offres n’est, à notre avis, généralement pas souhaitable et ne devrait être utilisée que dans de rares situations spécifiques.

 


[1] RLRQ c. CCQ-1991. Voir plus particulièrement les articles 2638 et suivants.
[2] RLRQ, c. A-2.1.
[3] Article 646 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.
[4] Desputeaux c. Éditions Chouette (1987 inc.), 2003 CSC 17.

Me Maryse Catellier-Boulianne

Avocate

Morency, société d'avocats

Me Patrick Beauchemin

Avocat

Morency, société d'avocats